La cinquième communication intitulée « Enjeux identitaires et culturels de la médecine traditionnelle », a été présenté par Dr LAMADOKOU. Enseignant chercheur et Ministre chargé de la culture et du tourisme.
En introduction le Ministre en charge de la culture définit la Médecine Traditionnelle comme la somme des connaissances, compétences et pratiques qui reposent sur les théories, croyances et expériences propres à une culture et qui sont utilisées pour maintenir les êtres humains en bonne santé ainsi que pour prévenir, diagnostiquer, traiter et guérir des maladies physiques et mentales a-t-il souligné le communicateur .
Dr LAMADOKOU a déroulé le plan de sa communication qui est axé sur trois principaux points à savoir :
* Les pratiques médicales dans le contexte de la médecine traditionnelle
* De la spiritualité en médecine traditionnelle africaine
* Médecine traditionnelle et savoir-faire africain
Il a poursuivi sa communication en affirmant que : La connaissance de la nature et de ses pharmacopées est primordiale . Dans la nature réside de nombreux vecteurs de guérisons, qui ne sont toutefois pas les seuls auxquels on peut avoir recours. La prise en charge de la maladie fait encore appel à une ritualisation. Ce point renvoie à une sacralisation de la maladie, des soins et de la personne.
Au-delà du corps, il existe une dimension de transcendance qui est en lien avec la maladie. Pour cette raison, il y a lieu de ritualiser le soin. Et celle-ci est fondamentalement liée à culture et à l’identité de la société en question.
L’objectif est de souligner les liens toujours vivaces que les populations africaines à forte majorité rurale entretiennent avec la Médecine Traditionnelle et promouvoir son intégration dans les systèmes nationaux de prestation de soins de santé
Les croyances ont joué un rôle dans toutes les épidémies et à toutes les époques en Afrique ou ailleurs. Par exemple, partout dans le monde, on a assisté à un attachement profond aux traditions populaires pour se protéger contre la Covid-19 : des amulettes au Mexique, de l’ail bouilli dans l’eau au Maghreb, etc.,
Selon le Ministre, la Médecine Africaine Traditionnelle fait appel à l’herboristerie autochtone et à la spiritualité africaine, impliquant généralement des devins, des sages-femmes, et des herboristes, et des thérapeutes.
Les Praticiens de la Médecine Africaine Traditionnelle affirment pouvoir soigner diverses maladies telles que les cancers, les troubles psychiatriques, l’hypertension artérielle, le choléra, les maladies vénériennes, l’épilepsie, l’asthme, la fièvre, l’anxiété, la dépression, etc.
Le diagnostic est obtenu par des moyens spirituels puis un traitement est prescrit, consistant généralement en un remède à base de plantes qui est considéré comme ayant non seulement des capacités de guérison, mais également une signification symbolique et spirituelle.
La médecine africaine traditionnelle, convaincue que la maladie ne découle pas d’événements fortuits, mais d’un déséquilibre physique, spirituel ou social, diffère grandement de la médecine scientifique moderne, qui repose sur des bases techniques et analytiques.
Les pratiques médicales dans le contexte de la Médecine Traditionnelle
Les praticiens traditionnels utilisent une grande variété de traitements, allant de la « magie » aux méthodes biomédicales telles que le jeûne et les régimes amaigrissants, la phytothérapie, le bain, les massages et les procédures chirurgicales.
Les migraines, la toux, les abcès et la pleurésie sont souvent traités en pratiquant des entailles dermiques, après quoi une pommade à base de plantes est appliquée avec des médicaments eux aussi à base de plantes.
Les animaux sont également parfois utilisés pour transférer la maladie ultérieurement, ou pour la fabrication de médicaments de zoothérapie.
Les fièvres sont souvent traitées à l’aide d’un bain de vapeur. En outre, on provoque des vomissements ou des émétiques dans le but de guérir certaines maladies.
Par exemple, le bœuf cru est trempé dans la boisson d’une personne alcoolique afin de provoquer des vomissements et des nausées, et de traiter l’alcoolisme. Dans la baie du Bénin, les autochtones utilisent la graisse d’un boa constricteur pour guérir soi-disant de la goutte et des rhumatismes.
De la spiritualité en Médecine Traditionnelle Africaine
Certains guérisseurs peuvent utiliser des charmes, des incantations et des lancers de sorts dans leurs traitements. La nature dualiste de la Médecine Africaine Traditionnelle entre le corps et l’esprit, la matière et l’esprit et leurs interactions les unes avec les autres sont également considérées comme une forme de magie.
Richard Onwuanibe donne à l’une de ces formes de magie le nom de Extra-Sensory-Projection. Une conviction chez les Ibo du Nigéria veut que les guérisseurs puissent implanter quelque chose chez une personne à distance pour leur infliger la maladie.
Une autre forme de magie utilisée par ces pratiquants, qui est plus largement connue, est la magie sympathique, dans laquelle un modèle est fait de la victime. Les actions effectuées sur le modèle sont transférées à la victime, de la même manière que la poupée vaudou
Dans les cas où les esprits des parents décédés troublent les vivants et causent des maladies, les médecins prescrivent des remèdes, souvent sous la forme de sacrifices propitiatoires, afin de les mettre au repos afin qu’ils ne gênent plus les vivants, surtout les enfants.
Utiliser des charmes et des amulettes pour soigner des maladies est une pratique incertaine qui nécessite des recherches scientifiques plus poussées.
Dans les cultures africaines, l’acte de guérir est considéré comme un acte religieux. Par conséquent, le processus de guérison tente souvent de faire appel à Dieu, car c’est lui qui peut non seulement infliger une maladie, mais aussi guérir. Les Africains ont une vision religieuse du monde qui les rend conscients de la faisabilité d’une intervention divine ou spirituelle dans la guérison.
De nombreux guérisseurs se référant au dieu suprême comme source de leur pouvoir médical. Par exemple, le Kung du désert du Kalahari croient que le grand Dieu Hishe a tout créé et, par conséquent, contrôle toutes les maladies et la mort
Les Babalawo recherchent les racines de la maladie dans les multiples liens qui relient le malade à son environnement, ils cherchent à insérer la maladie dans une problématique plus vaste, à donner ainsi du sens aux maux.
C’est le même processus pour établir un diagnostic et pour faire un choix thérapeutique. Ils opèrent un raisonnement par arborescence. Dix ans sont nécessaires pour devenir Babalawo.
Médecine traditionnelle et savoir-faire africain
Il est évident que par les plantes, les fruits, les racines et écorces, l’Afrique détient un savoir-faire en matière de santé. La nécessité de se tourner vers les garants et détenteurs de ce savoir afin de le valoriser, d’en moderniser les aspects qui mériteraient de l’être et d’en tirer le plus grand bénéfice n’est plus à démontrer.
Étant tous ou presque conscients de ce fait, il se pose les questions suivantes : pourquoi les initiatives entreprises dans ce sens piétinent encore ? Pourquoi ce domaine pourtant économiquement vital est-il en retard ? Et pourquoi le domaine de la recherche en général est aussi peu estimé chez nous ?
Le Ministre en ses mots: <<La réponse m’a semblée évidente quand on sait que beaucoup d’Africains se plaignaient d’avoir été empêchés par des responsables de firmes pharmaceutiques d’informer le public sur les résultats d’une étude menée sur une tisane (Artémisia) dont les vertus antipaludéennes sont jusqu’alors inégalées.
Rappelons que le paludisme encore appelé malaria est l’une des maladies les plus meurtrières en Afrique et que certains médicaments importés ont montré leurs limites et même pour certains comme le Lariam, leur caractère nuisible en la matière.
On est donc en droit de se questionner sur les raisons valables qui ont poussé les autorités sanitaires à empêcher la poursuite et la divulgation des recherches sur cette tisane en RDC, une situation d’ailleurs fréquente en matière de découverte de médicaments révolutionnaires en Afrique.
On a souvent fait de de l’Afrique une poubelle à médicaments contrefaits qui tuent à petit feu les populations puis on empêche ces mêmes populations de fabriquer leurs propres médicaments.
Après analyse des faits, la conclusion est celle-ci:
Ils sont rares en Afrique, ces pays qui prévoient une place pour la Médecine Traditionnelle. Ce manquement constitue une brèche par laquelle beaucoup d’imposteurs et de malfrats se déguisent en tradithérapeutes et infiltrent le domaine puis le décrédibilisent à travers leurs diverses exactions. Ils y jettent ainsi une couche supplémentaire de suspicion et de méfiance
Mais sonnez trompettes, battez tambours!!! Il existe bien quelques pays qui à travers leur politique ou leur culture ont accordé à cette médecine trop souvent diabolisée une place de choix. Il s’agit entre autres du Bénin et du Ghana.
En Afrique, contrairement aux sociétés occidentales, la pharmacopée traditionnelle est presque systématiquement consultée avant la pharmacie moderne.
Le Bénin fait partie de ces pays où le premier réflexe qu’on a lorsqu’on sent un malaise est de se diriger vers les plantes environnantes. La population béninoise est d’ailleurs caractérisée par son profond ancrage dans la tradition. Pour cela, les découvertes locales y sont assez souvent promues et vulgarisées. Ce fut l’exemple de l’Api-Bénin du docteur Valentin AGON, spécialiste béninois en médecine verte.
Ensuite, il y a le Ghana où d’énormes progrès ont été effectués ces dernières années en matière de régularisation du statut de la médecine traditionnelle.
Les autorités gouvernementales ont en effet mis en place un cadre politique permettant aux tradithérapeutes d’exercer leur métier dans des limites et des conditions bien définies. Ils ont ainsi favorisé l’épanouissement et encouragé l’innovation au sein du secteur>>.
Dr LAMADOKOU a conclu que la Médecine Traditionnelle fait partie intégrante de l’identité socio-culturelle africaine. Contrairement à la Chine qui en a fait un tremplin mondialement reconnu et qui en tire d’importants bénéfices financiers, le domaine a longtemps été marginalisé sous nos cieux.
Il est temps qu’il soit repensé et que l’attention qui lui est due lui soit accordée.
On ne le dira jamais assez, l’Afrique a un besoin impératif de sortir de ce schéma de pensée aliénant qui consiste à diaboliser, à sous-estimer et à fouler du pied les réalisations locales car elles sont censées représenter sur l’échiquier mondial la productivité et l’authenticité qui nous caractérisent.

Dr LAMADOKOU Kossi Gbényon
Dr en Culture et Développement, Ministre de la Culture et du Tourisme du Togo, Enseignant-Chercheur à l’Université de Lomé